

« Avant de peindre j’ai ressenti.
Des errements aux campagnes de mes enfances, aux courses des terrains vagues, aux égarements offerts par la lumière depuis la chaise de l’écolier jusqu’à bien des rêveries…
Avant de peindre j’aurai peint comme cela. Ne pas voir, aller au-delà. Ne pas peindre ce que l’on voit ; ressentir. Sentir le poids de l’air, le crissement sous les bois, l’eau brûlante et les sables froids… l’oiseau trop loin avant qu’il ne se montre, l’animal caché au bruit de mes pas.
Oublier le reste, le monde, les autres. Le corps est lourd et parfois de trop il a besoin de sa charpente, elle est là, et se pose sur la toile, à ma place.
Elle est la charge du poids et de l’étreinte des contours invisibles.
Débarrassé du fardeau des chaires, des os et du reste on peut se disperser, et de ville en ville, de maisons, de galeries, de musées se partager aux murs en ces ombres multiples éblouissantes de toutes les interprétations appropriées qui remplacent alors toutes mes errances.
Cette peinture que je porte, qui semble n’être que moi, c’est la vôtre. Celle aussi d’une vie que d’autres ne voient pas, celle de vies pour qui ressentir n’existe peut-être déjà plus. Elle est une nature dans la nature, ma nature sans doute.
Plus loin… j’aurai cessé de mordre les matins alors qu’aux plâtres mes peintures mordront encore vos yeux, jusqu’à l’éclat de verre.
En ces soirs, ivre je t’aurai rencontré, aux petits matin plus ivre encore toujours je te quittai, toi mon souffle pour n’être plus qu’elle. »
Christian-Nicolas Hoët
Février 2020